Une vieille pièce de monnaie peut-elle résoudre le mystère d’un empereur romain disparu ? Examiner si un souverain s’est glissé entre les mailles d’un siècle tumultueux.

Paul Pearson a toujours été fasciné par l’histoire humaine ancienne, même si son domaine d’intérêt professionnel relève plutôt des sciences de la terre et du paléoclimat. M. Pearson, de l’université de Cardiff au Royaume-Uni, s’intéresse depuis longtemps à l’Empire romain et a publié en mars 2022 The Roman Empire in Crisis, 248-260 : When the Gods Abandoned Rome, un ouvrage consacré à une période particulièrement difficile de l’histoire romaine.

Au troisième siècle, l’empire est en proie à une série de guerres civiles, à des troubles économiques, à une pandémie à l’échelle de l’empire et à une succession de dirigeants et d’usurpateurs qui se disputent la domination du monde romain tentaculaire. Pearson ne s’attendait pas à tomber sur un mystère antique. “C’est en écrivant ce livre que je suis tombé sur l’histoire intéressante d’un obscur empereur dont on pensait qu’il était faux parce qu’il reposait entièrement sur de fausses pièces de monnaie”, explique-t-il.

En 1713, huit pièces d’or de cinq motifs différents ont été déterrées en Transylvanie, dans l’actuelle Roumanie, et acquises par un homme nommé Carl Gustav Heraeus. L’une d’elles comportait un visage et le nom “Sponsian”. Les pièces romaines portaient le visage du souverain qui les avait émises, même si son règne avait été bref. On a découvert que les huit pièces provenaient d’un plus grand magot de pièces d’or qui avait été dispersé à l’époque. Quatre pièces de Sponsian provenant de ce magot sont connues aujourd’hui. Cependant, le nom de Sponsian n’apparaît dans aucun texte ou source ancienne. Au fil des ans, les pièces ont été considérées comme fausses, tout comme l’empereur.

Le mystère d’un empereur romain disparu

M. Pearson a décidé de se pencher sur l’histoire de cet obscur empereur potentiel pour faire une parenthèse amusante dans le livre sinistre qu’il était en train d’écrire. “J’ai pensé que c’était une histoire intéressante à étudier”, dit-il, “en partie parce qu’il semblait y avoir une question légèrement déroutante expliquant comment on en est arrivé là.”

En effectuant ses premières recherches, M. Pearson s’est rendu compte qu’il n’existait nulle part de photographies claires des pièces légèrement infâmes. “Il y avait quelques photographies granuleuses en noir et blanc publiées, mais personne n’avait jamais eu l’occasion de regarder ces pièces de près.” Il a appris que le Hunterian Museum de Glasgow possédait l’une des pièces spondiennes et trois autres de conception similaire, représentant Gordian III et Philippe (I ou II), tous deux de véritables empereurs au règne bref durant le tumultueux troisième siècle. M. Pearson a donc envoyé un courriel à Jesper Ericsson, conservateur de la numismatique du musée, pour lui demander une photographie de la pièce spondienne. “Nous étions tous deux assez perplexes quant à l’apparence de la pièce”, dit-il, “qui présentait des signes d’usure profonde et des incrustations en surface.” Pourquoi un faux semble-t-il avoir passé un long moment dans le sol ?

Incertains de ce que tout cela signifiait, Pearson et Ericsson ont réuni une équipe pour une étude visant à percer le mystère.

L’étude, récemment publiée dans la revue PLoS, a examiné les quatre pièces de la collection de Glasgow, ainsi que deux autres pièces d’or romaines de Gordien III et de Philippe Ier, considérées comme authentiques. L’étude a conclu que les quatre pièces, comme les apparences le suggéraient, avaient été enfouies dans le sol pendant une longue période et qu’elles étaient déjà profondément usées avant d’être enterrées. Cela suggère qu’elles avaient effectivement été en circulation dans l’Antiquité. Il semblait possible, dès la première analyse scientifique d’une pièce de monnaie spondienne, qu’elle puisse représenter un véritable empereur romain disparu.

Le troisième siècle a été une mauvaise période pour le vaste empire, et c’est une période qui a connu des changements rapides et constants dans la direction politique. Entre l’an 235 et l’an 284, il y a eu au moins 26 prétendants au titre d’empereur, pour la plupart des généraux. Lorsque les pièces spondiennes ont été découvertes pour la première fois, les chercheurs pensaient avoir identifié un nouvel empereur ou un usurpateur qui avait revendiqué le titre en 249. Mais le numismate français du XIXe siècle, Henri Cohen, les a ensuite rejetées comme étant des “faux modernes de très mauvaise qualité”. Le fait que personne n’ait jamais entendu parler de Sponsian auparavant n’a rien arrangé. L’affaire semblait close.

L’étude de Pearson semble toutefois avoir relancé le débat.

“Il y a eu beaucoup de commentaires depuis que nous avons publié l’article”, dit M. Pearson. Des réponses ont été publiées en ligne, mais personne ne m’a “contacté en tant qu’auteur correspondant pour formuler des critiques sérieuses sur l’article”. M. Pearson et son équipe supposent que les pièces ne sont pas fausses et qu’elles indiquent effectivement l’existence d’un empereur inconnu.

Richard Lim, qui enseigne l’histoire romaine ancienne au Smith College, affirme que le nom de Sponsien n’avait jamais été sur son radar. “Il y a une si longue liste d’usurpateurs au troisième siècle, dit-il, que même obtenir les noms de tous les empereurs qui ont été reconnus comme ayant réellement régné est une expérience très éprouvante.”

M. Lim a trouvé que l’étude de M. Pearson était bien présentée, notamment en ce qui concerne la remise en cause de l’authenticité des pièces. Le plus convaincant, dit-il, est la question de savoir pourquoi quelqu’un au XVIIIe siècle se donnerait la peine d’inventer un empereur. “Pourquoi quelqu’un aurait-il fait cela, alors que tant d’autres types de faux auraient pu être tentés à cette époque ?

Malgré tout, M. Lim se garde bien de spéculer sur l’identité de Sponsian, même s’il a existé, sur la base de quelques pièces.

L’inscription sur les pièces, “IMP SPONSIANI”, souligne-t-il, ne fait pas nécessairement de lui un empereur. IMP” signifie “imperator” en anglais, mais pour les Romains, cela signifiait “commandant victorieux”, c’est ainsi qu’un général victorieux aurait été appelé par ses soldats”, explique M. Lim. Selon lui, les pièces ne sont pas suffisantes pour couronner officiellement Sponsian.

Pour M. Pearson, la publication de l’étude n’est qu’une première étape. “Il est certainement vrai qu’il y a encore beaucoup à faire”, dit-il. “La nôtre était la première étude des pièces qui se trouvent à Glasgow. Il y en a d’autres.” Pearson espère étudier une pièce qui se trouve actuellement en Roumanie, dans un état similaire à celui des pièces de Glasgow. “Ce que nous espérons faire, c’est essayer d’identifier la source de l’or lui-même”, explique-t-il. M. Pearson et son équipe espèrent que cette découverte attirera un peu plus l’attention sur cette période de crise de l’empire, et sur ce que le leadership pouvait signifier à l’époque. “Je pense que c’est une période vraiment intéressante”, dit-il. “Que notre hypothèse s’avère vraie ou non, nous espérons qu’elle aura stimulé le débat et la discussion sur cette période.”