Une pièce de mille milliards de dollars. La chose est possible, selon les textes ; elle enflamme les réseaux sociaux et l’idée a même séduit un élu américain, présentée comme la solution au psychodrame récurrent du plafond de la dette des États-Unis qui déchire actuellement le Congrès américain. L’idée, née en 2011 dans l’esprit d’un avocat anonyme de l’État de Géorgie, refait surface à chaque crise politique, comme celle qui a lieu actuellement à Washington, entre républicains et démocrates, l’un ou l’autre parti bloquant le relèvement du plafond de la dette, nécessaire pour que le gouvernement américain puisse faire face à ses engagements.

Ses partisans suggèrent d’utiliser une loi votée en 1997 qui permet, en théorie, au secrétaire au Trésor de faire frapper une pièce de la valeur de son choix, en platine. Le ministre des Finances, vraisemblablement sur instruction du président, pourrait ainsi créer une pièce de mille milliards de dollars, qui serait ensuite déposée sur le compte de la Banque centrale américaine (Fed) pour rembourser une part équivalente de la dette des États-Unis. Le gouvernement se retrouverait ainsi très en dessous du plafond de la dette et aurait de nouveau les marges de manœuvre nécessaires, sans avoir à demander l’autorisation du Congrès, ce qu’il doit normalement faire. Jugé fantaisiste par le plus grand nombre, voire impossible juridiquement à mettre en œuvre concrètement, le concept a néanmoins fait son chemin, au point qu’en 2013 le Trésor américain a pris la peine de dire qu’il ne frapperait pas cette pièce.

Vers le premier défaut de paiement de l’Histoire américaine ?

En janvier 2017, à quelques jours de la fin de son mandat, le président américain Barack Obama a raconté, dans le podcast Pod Save America, que l’idée avait été discutée avec le secrétaire au Trésor de l’époque, Jack Lew, mais écartée. Peu d’économistes ont apporté du crédit à cette construction théorique, parmi eux le Prix Nobel américain Paul Krugman, en mars 2020, qui l’a présentée comme un « tour de passe-passe comptable » qui « permettrait simplement au Trésor de passer outre le chantage des républicains ».

« C’est le genre de raisonnement qu’on voit dans un pays en développement », s’insurge, lui, Laurence Kotlikoff, professeur d’économie à l’université de Boston. « Le cœur du sujet, c’est d’émettre de la monnaie pour payer les factures du gouvernement, ajoute-t-il. Et quand vous faites suffisamment tourner la planche à billets, vous générez de l’inflation. » Or, après plus de vingt ans de faible hausse des prix, l’inflation est justement déjà revenue s’inviter dans l’économie américaine, à la faveur de la sortie de la pandémie de coronavirus. Les républicains, qui s’opposent actuellement de nouveau à un relèvement du plafond de la dette, estiment que cela reviendrait à valider les plans massifs d’investissement du gouvernement Biden, qu’ils jugent « irresponsables ». La menace d’un défaut de paiement, le premier dans l’Histoire des États-Unis, se profile.

« Le plafond de la dette est en soi une idée stupide »

Depuis quelques jours, la pièce à mille milliards de dollars fait fantasmer, ou hurler, les réseaux sociaux. Mardi, la cheffe démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a révélé que le député de New York Jerry Nadler avait suggéré le « trillion dollar coin » comme l’une des solutions possibles pour éviter, à l’avenir, de nouveaux bras de fer sur la dette au Congrès.

Pour le professeur d’économie de Bard College L. Randall Wray, cocréateur de la théorie monétaire moderne (qui avance que l’endettement d’un pays n’est pas un handicap), la fameuse pièce n’est pas plus farfelue que le dispositif massif de soutien à l’économie qu’a mis en place la Fed depuis le début de la pandémie, en rachetant, sur le marché, des centaines de milliards de dollars de dette, publique et privée. « C’est un moyen de contournement », estime l’universitaire, qui « met en évidence le fait que le plafond de la dette est en soi une idée stupide. » Et un nombre croissant d’économistes, dont L. Randall Wray, soulignent que les injections colossales de liquidités par la Fed dans le système financier depuis 2008 n’ont eu aucun effet sur l’inflation, et que le spectre n’en est pas un. Pour Matthew Gertz, chercheur à l’observatoire des médias Media Matters for America, plutôt que la pièce à mille milliards de dollars, « vous savez ce qui est cool ? La pièce à un million de milliards. »